Mesdames, Messieurs,
La France, en 2025, compte encore des enfants qui dorment dans la rue. Cette réalité s’est installée dans notre paysage républicain comme une honte discrète. Selon le 7e baromètre « Enfants à la rue » publié par Unicef France et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), dans la nuit du 18 au 19 août 2025, 2 159 enfants, dont 503 âgés de moins de trois ans, sont restés sans solution d’hébergement malgré un appel au 115. Un chiffre en augmentation de 30 % par rapport à 2022. À La Réunion, plus de 1 000 enfants vivaient sans abri, dont 330 âgés de moins de trois ans. En 2024, le collectif Les Morts de la Rue estimait que 855 personnes victimes du sans‑abrimse avaient trouvé la mort en France ; parmi elles, 31 enfants.
Les dispositifs d’urgence sont saturés, les expulsions locatives s’accélèrent, la pénurie de logements sociaux s’étend. Derrière chaque statistique, il y a une enfance brisée, une vie détruite, des nuits passées sous un porche ou dans un gymnase. Le droit à l’enfance n’est plus garanti ; il devient conditionnel, dépendant des places disponibles.
À cette crise du sans‑abrisme s’ajoute un scandale moral plus silencieux encore : celui des mineurs non accompagnés en refus de minorité. En juin 2025, la Coordination nationale Jeunes Exilés en Danger recensait plus de 3 200 jeunes contestant devant la justice une décision de refus de minorité ; parmi eux, 1 087 dormaient à la rue. Leur tort ? Avoir été considérés comme majeurs.
En France, lorsqu’une première évaluation conclut à la majorité, une personne se présentant comme mineure se voit systématiquement refuser l’accès aux services de protection de l’enfance dans l’attente des décisions d’appel des tribunaux. Une situation condamnant des centaines de jeunes à l’errance, à la rue, sans accès aux prestations de base pour leur survie, telles que l’accès à la nourriture, à l’eau potable ou aux installations sanitaires de base, leur refusant également l’accès aux services de santé et d’éducation.
« L’État est directement responsable des violations des droits de l’enfant consacrés par la Convention. » Dans son rapport d’enquête publié le 3 octobre 2025 (CRC/C/FRA/IR/1), le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies constate que la France manque aux obligations qui lui incombent en application des articles 2, 3, 6, 8, 12, 19, 20, 22, 27, 34, et 37 et viole les articles 24, 26, 28, 37 (al. b)) et 39 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Le Comité décrit un système « ancré dans un cadre juridique qui déroge au droit commun de la protection de l’enfance » et où « les considérations financières priment sur les intérêts des enfants. » Un rapport dénonçant des évaluations souvent expéditives, l’usage récurrent des tests osseux, scientifiquement contestés, et la pratique inacceptable qui consiste à faire reposer la charge de la preuve sur l’enfant. La procédure d’évaluation est basée sur un seul entretien avec la personne concernée, très souvent mené par un seul enquêteur, qui dure en moyenne une heure, sans l’assistance d’un adulte de confiance, d’un tuteur légal ou d’un avocat. Pire encore, le rapport souligne que « l’apparence physique de la personne concernée est souvent un facteur déterminant. » Dans de nombreux départements, la présomption de minorité cesse après la première évaluation, laissant ces jeunes à la rue pendant plusieurs mois, sans protection, alors même que les juges reconnaissent ensuite leur minorité dans 50 à 80 % des cas.
Les constats de l’enquête « Mineurs isolés étrangers » menée par l’association Utopia 56, publiés en juillet 2025, confirment l’ampleur des défaillances : la reconnaissance des droits d’un enfant dépendrait du département où il se présente. Certains appliqueraient l’accueil provisoire d’urgence prévu par l’article L. 221‑2‑4 du Code de l’action sociale et des familles, d’autres non. Plus de la moitié n’organise pas le bilan de santé pourtant obligatoire depuis la loi n° 2022‑140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Trois quarts des départements ne reconstituent jamais l’état civil du jeune accueilli. Derrière ces procédures bureaucratiques se joue pourtant le sort d’un enfant que la rue expose à la violence, à la traite, à la prostitution, au silence.
Ces jeunes ne sont pas des fraudeurs, mais des enfants en danger. Comme le rappelle la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), refuser de consacrer le droit à la présomption de minorité garanti par les conventions internationales « relève d’un choix éminemment politique : celui de laisser un mineur sans protection, plutôt que de risquer de protéger certains jeunes majeurs. » Ce choix, qui trahit l’esprit même du droit international, nous engage moralement.
La France a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant en 1990. Elle a promis, devant le monde, que l’intérêt supérieur de l’enfant primerait toujours sur toute autre considération. Nous nous devons de tenir cette promesse.
La présente proposition de loi vise à réparer cette défaillance. Elle ne crée pas un privilège, elle rétablit un droit : celui d’être protégé tant que le doute demeure. Nous refusons que le soupçon remplace la protection. Son article premier propose ainsi d’inscrire dans le droit la présomption de minorité, en rendant suspensif le recours formé contre une décision de refus de minorité et en garantissant le maintien de l’accueil provisoire d’urgence jusqu’à ce qu’une décision judiciaire définitive soit rendue. Ainsi, aucun jeune ne sera plus mis à la rue tant que la justice n’aura pas tranché son âge. Cette disposition simple, conforme à la Convention internationale des droits de l’enfant, met fin à un vide juridique contraire à la dignité humaine.
Mais protéger l’enfant, c’est aussi comprendre les causes de sa vulnérabilité. C’est pourquoi le présent texte propose d’instituer un Observatoire national du sans‑abrisme, chargé de recenser et d’analyser les données sur les personnes sans domicile, notamment les mineurs privés de protection familiale. Cet observatoire aura pour mission d’évaluer les politiques d’hébergement, d’en suivre l’évolution, et de publier chaque année un rapport public remis au Gouvernement et au Parlement. Car l’indifférence commence là où l’on cesse de mesurer.
Cette réforme, pour être effective, suppose également une clarification des responsabilités financières entre l’État et les départements. Les conseils départementaux, en première ligne de la protection de l’enfance, font face à des tensions budgétaires et humaines inédites. La gestion des nouveaux flux de jeunes en recours, conjuguée à la saturation des dispositifs d’accueil provisoire d’urgence, ne saurait reposer sur leurs seules ressources. Nombre de départements peinent déjà à assurer la continuité des prises en charge avec des effectifs et des capacités d’accueil insuffisants. L’État se doit d’assumer la part principale de l’effort financier induit par cette garantie nouvelle. L’effectivité de la protection juridique que consacre la présente proposition de loi dépendra de cette responsabilité partagée : les droits des enfants ne peuvent être conditionnés aux capacités budgétaires et matérielles d’un département. La République ne peut pas traiter l’enfance comme une variable budgétaire.
L’article 1er modifie l’article L. 221‑2‑4 du code de l’action sociale et des familles pour rendre suspensif le recours formé contre une décision de refus de minorité et assurer le maintien de l’accueil provisoire d’urgence pendant toute la durée de la procédure.
L’article 2 crée un Observatoire national du sans‑abrisme, chargé de collecter, d’analyser et de mettre en cohérence les données relatives aux personnes sans domicile, notamment les mineurs isolés, de les communiquer aux pouvoirs publics et aux associations ou fondations œuvrant en ce domaine, et de publier chaque année un rapport remis au Gouvernement et au Parlement.
L’article 3 gage la présente proposition de loi.