Mesdames, Messieurs,
Désormais visibles sur les parkings de supermarché, dans les gares, les stations‑service, les centres commerciaux ou encore dans les laveries automatiques, les dispositifs automatiques de retrait et de dépôt de colis (dits « lockers ») ou de distribution de denrées alimentaires (pizzas, pain, produits agricoles, plats préparés, etc.) sont devenus incontournables dans le quotidien des Français, qui peuvent accéder à ces nouvelles formes de services en toute autonomie : 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et sans intervention d’un tiers.
S’ils répondent à des exigences de praticité et d’accessibilité permanente aux services, leur croissance exponentielle soulève d’importants enjeux économiques, urbanistiques et d’aménagement du territoire.
Le développement des dispositifs automatiques de distribution de denrées alimentaires s’est accéléré ces dernières années, en raison d’une évolution du commerce de proximité. Ils permettent aux consommateurs de s’approvisionner à toute heure du jour et de la nuit, notamment lorsque les commerces traditionnels sont fermés. Dans de nombreuses communes, ils offrent une solution « intermédiaire » pour pallier aux difficultés de maintien de certains commerces de proximité, comme les boulangeries par exemple. Cependant, les maires ne disposent d’aucun outil pour encadrer et réguler ces implantations sur le territoire communal. Sans réglementation encadrée, leur installation se développe majoritairement sur le domaine privé, comme les parkings de supermarché. Dans le Finistère, un maire et son équipe municipale ont par exemple pris connaissance sur les réseaux sociaux, de l’implantation d’un distributeur automatique de pizzas dans leur commune. Ce qui n’est pas sans poser des questions de concurrence locale : vis‑à‑vis du restaurateur de la rue principale, ou vis‑à‑vis des food‑trucks stationnant dans la commune le jour du marché, et qui proposent déjà des offres de pizzas à emporter.
Quant aux lockers, ils connaissent une expansion fulgurante, directement liée à la prédominance du commerce en ligne. Ce dernier a profondément transformé les modes de consommation et a fait du secteur de la livraison de colis un maillon central de l’économie.
Les consommateurs disposent de plusieurs modes de livraison : à domicile, en point relais ou via ces lockers. Selon une étude Geopost de septembre 2025 relayée par BFM Business, 72 % des Français utilisent majoritairement la livraison à domicile, mais cette part recule au fil des années. Parallèlement, il ressort de cette même étude que 57 % des Français préfèrent les points relais à la livraison à domicile (contre 24 % chez les Européens).
La livraison en point relais est de plus en plus plébiscitée par les consommateurs, notamment pour des raisons économiques : elle permet de mutualiser les livraisons et de réduire ainsi les coûts de distribution. De ce fait, elle offre des tarifs avantageux et apparaît moins coûteuse qu’une livraison à domicile. Ce modèle repose sur un réseau de commerces partenaires qui assurent la réception des colis et leur remise au client.
Ces points relais sont majoritairement tenus par des commerçants indépendants (buralistes, fleuristes, libraires, épiciers, etc.), qui perçoivent une commission pour chaque colis collecté. La rémunération accordée aux commerçants faisant office de point‑relais varie selon les réseaux de distribution et oscille entre 0,30 à 0,50 euro par colis. Ce service constitue un complément de revenus non négligeable, de l’ordre de plusieurs centaines d’euros par mois. Les commerçants bénéficient également de l’activité induite par les flux de colis, permettant de générer de nouveaux passages en boutique et des ventes additionnelles. Les points relais contribuent dès lors à la vitalité des centres‑bourgs et au maintien d’un tissu de services de proximité, particulièrement dans les zones rurales.
Or, ces dernières années, plusieurs opérateurs de livraison (Chronopost, Mondial Relay, Amazon, et plus récemment Vinted Go) privilégient une stratégie d’implantation massive de lockers, sur l’ensemble du territoire. Mondial Relay comptabilise par exemple 9 000 lockers sur le territoire français en 2025, contre 300 en 2021. Amazon, le géant du commerce en ligne, en dénombre près de 4 500 en 2025.
Implantés en priorité sur des parkings ou dans des zones commerciales, les lockers répondent à une logique commerciale bien définie, celle de l’accessibilité automobile. Pensée pour accroître la disponibilité du service, cette généralisation des lockers fragilise directement les commerces de proximité des centres‑bourgs.
Récemment, de nombreux commerçants, partenaires historiques du réseau de livraison « Mondial Relay », ont vu leurs contrats de dépositaires résiliés unilatéralement. De simples lettres recommandées ont mis fin à des années d’activité. En 2025, près de 3 500 points relais ont ainsi été supprimés dans le cadre d’une réorganisation du réseau de distribution de la société Mondial Relay, au profit de l’installation de consignes automatiques de livraison. Ces ruptures brutales de contrats ont entraîné des pertes de revenus importantes et un sentiment d’injustice chez les commerçants locaux. Dans un article du Monde d’avril 2025, une couturière témoigne : cette activité lui rapportait un supplément moyen de 340 euros mensuels, et permettait également de dynamiser le centre‑bourg : « Ce service attirait les gens des communes voisines, qui profitaient du déplacement pour se faire coiffer chez Marlène, boire un café chez Jean‑Paul et manger une pizza chez Jean‑Philippe. ».
Dans certaines communes, des mobilisations citoyennes se sont organisées pour défendre ce modèle, comme à Huelgoat dans le Finistère, où une pétition de plus de 2 500 signatures a permis de sauver l’unique point relais de la commune. Cette victoire reste toutefois exceptionnelle.
Dans les territoires ruraux, où un seul point relais peut couvrir un rayon de vingt kilomètres, leur suppression compromet gravement l’accès aux services de proximité et fragilise le tissu social et économique local. Ce phénomène est d’autant plus préoccupant que 62 % des communes françaises ne disposent plus d’aucun commerce en 2025, contre 25 % en 1980 (source : ministère de l’Économie et des Finances), renforçant l’importance de maintenir et de soutenir les points relais existants.
Au‑delà de l’enjeu économique, les lockers soulèvent des réflexions liées à l’occupation du territoire et à la publicité commerciale. Ils permettent aux opérateurs de promouvoir leur marque et services, tout en échappant aux charges traditionnelles que paient les commerces physiques pour leur activité économique.
Ces constats posés, ils appellent une réponse structurelle de la part des pouvoirs publics. Cette proposition de loi vise à redonner aux communes un pouvoir d’action pour encadrer l’installation de ces dispositifs automatiques, tout en soutenant une économie de proximité, indispensable à la vitalité des centres‑bourgs. Elle s’articule autour de deux articles :
L’article 1er prévoit que toute implantation d’un dispositif automatique de retrait ou de dépôt de colis sera désormais soumise à une autorisation d’urbanisme, quelle que soit sa surface au sol, dès lors que ce dispositif s’installe sur le domaine public ou privé. S’agissant du domaine public, l’autorisation devra être complétée d’une autorisation d’occupation du domaine public et donnera lieu au paiement d’une redevance, conformément à la loi.
Afin d’encadrer plus spécifiquement l’implantation des casiers automatiques de livraison (« lockers »), la délivrance de l’autorisation d’urbanisme sera subordonnée à la signature préalable d’un contrat auprès d’un commerçant de proximité permettant le maintien a minima d’une solution de retrait et de dépôt de colis via un guichet, et ce dans un rayon de vingt kilomètres. Cet article permet ainsi de redonner du pouvoir de régulation aux communes, alors qu’elles ne disposent à ce jour d’aucune prérogative pour autoriser l’implantation de tels dispositifs automatiques de distribution et de retrait.
L’article 2 introduit la possibilité, pour les communes, de mettre en place une taxe forfaitaire d’un euro sur chaque colis retiré ou déposé via un casier automatique de livraison. Cette taxe est due par l’opérateur du casier automatique de livraison. Celle‑ci est collectée par la commune et vise à corriger les déséquilibres concurrentiels engendrés par le développement croissant des casiers automatiques de livraison. Intégralement affectée au budget communal, cette taxe fournit aux collectivités une ressource nouvelle pour renforcer et promouvoir la dynamique de son offre de commerces de proximité.