Mesdames, Messieurs,
L’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 dispose que la Nation « garantit à tous […] la protection de la santé ».
La France peine malheureusement à assurer l’effectivité de ce droit face à la hausse préoccupante des pénuries de médicaments qu’elle connaît depuis plusieurs années, avec des conséquences désastreuses pour la santé et la prise en charge des patients. Dans une étude menée en 2019 par la Ligue contre le Cancer, la très grande majorité (75 %) des professionnels de santé interrogés considéraient que ces pénuries entraînaient une perte de chance pour les patients et près de la moitié (45 %) constataient une détérioration de la survie à cinq ans.
Dans nos circonscriptions, pas une semaine ne se passe sans que nous ne recevions des témoignages de citoyens ne pouvant se procurer tel ou tel médicament. D’après le dernier baromètre des droits des personnes malades réalisé par France Assos Santé, 37 % des Français ont déjà été confrontés à une pénurie de médicaments en pharmacie en 2023, un chiffre en augmentation de 8 % par rapport à 2022.
Si ce phénomène n’est pas récent, il s’est fortement aggravé au cours des dernières années. En 2022, le nombre de signalements a ainsi atteint un record tant pour les ruptures de stock que pour les risques de ruptures. Au total, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a reçu 3 761 déclarations, dont 1 602 signalements pour des ruptures de stock et 2 159 pour des risques de rupture. À titre de comparaison, 535 signalements avaient été recensés en 2017 (425 concernant des ruptures de stock et 108 des risques de rupture), soit une augmentation de plus de 300 % en six ans.
Ces tensions d’approvisionnement sont d’autant plus préoccupantes qu’elles ne sont que très partiellement résorbées. Ainsi, d’après les données communiquées par l’ANSM ([1]), à peine 59 % des 1 602 ruptures de stock et 62 % des 2 159 risque de rupture de stock signalées en 2022 ont été clôturées à ce jour.
Face à ce constat, l’État doit reprendre la main sur la politique d’approvisionnement en médicaments en France, notamment en donnant toute leur effectivité aux obligations qui incombent aux industriels.
Dans ce but, l’article 1er de la présente proposition de loi vise à renforcer les obligations de constitution de stock minimal de sécurité applicables aux industriels.
Depuis le 1er septembre 2021, les laboratoires commercialisant des médicaments sur le territoire français doivent constituer un stock de sécurité minimal « qui ne peut excéder 4 mois de couverture des besoins en médicament, calculés sur la base du volume des ventes de la spécialité au cours des douze derniers mois glissants », dans des conditions définies par décret ([2]).
À défaut de la définition d’un seuil minimal dans la loi, le Gouvernement a fixé par décret (décret n° 2021‑349 du 30 mars 2021) trois durées différentes, selon la catégorie du médicament concerné :
– deux mois minimum pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) ([3]) ;
– un mois pour les médicaments ne relevant pas de la catégorie des MITM mais contribuant à une politique de santé publique ;
– une semaine pour les autres médicaments ne relevant pas de la catégorie des MITM.
Ce décret nous semble toutefois soulever plusieurs difficultés.
En premier lieu, pour une très grande majorité de médicaments, la durée minimale de stock demandée est largement inférieure au plafond de quatre mois défini par le législateur. En effet, seuls 422 médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) sont aujourd’hui soumis à cette obligation, sur les plus de 6 000 MITM commercialisés en France, soit moins de 1 sur 10. Par ailleurs le plafond maximal de quatre mois prévu par la loi nous semble aujourd’hui insuffisant pour garantir un approvisionnement satisfaisant des médicaments essentiels sur le territoire français. à titre de comparaison, la Finlande impose par exemple depuis 2008 aux industriels des durées minimales de stock, qui, pour certains médicaments essentiels, peuvent atteindre dix mois.
En conséquence, l’article 1er propose les modifications suivantes :
– inscrire dans la loi une obligation de détenir un stock de sécurité « plancher », et non plus seulement un plafond. Concrètement, ce stock minimal obligatoire serait de quatre mois pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), et de deux mois pour les autres médicaments, soit un doublement des obligations actuelles ;
– relever le stock de sécurité « plafond » qui peut être demandé aux industriels, afin de mieux prévenir toute pénurie pour les médicaments. Ce stock de sécurité « plafond » serait de huit mois pour les MITM, et de six mois pour les autres médicaments, contre quatre mois maximum aujourd’hui quelque soit le médicament.
L’article 2 vise à renforcer les sanctions financières que l’Agence nationale de Sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) peut prononcer à l’encontre des entreprises pharmaceutiques qui ne respecteraient pas leurs obligations, notamment en matière de constitution des stocks de sécurité.
Le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française, publié le 4 juillet 2023, relève que « les pouvoirs de sanction confiés à l’ANSM sont trop peu utilisés : l’Agence n’a pris que huit décisions de sanctions financières entre 2018 et 2022, pour un montant total de 922 000 euros. Aucune n’a été prise pour le motif d’une violation des obligations […] de constitution d’un stock de sécurité ».
Le montant de la sanction financière que peut prononcer l’ANSM à l’encontre des entreprises pharmaceutiques est actuellement plafonné à 30 % du chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice clos pour le médicament ou le groupe de médicaments concerné, dans la limite d’un million d’euros. Cette sanction peut être assortie d’une astreinte journalière dans la limite de 2 500 euros par jour. Autrement dit, le montant des sanctions est particulièrement dérisoire et peu dissuasif, si on le compare au chiffre d’affaires annuel du médicament en France, qui s’est élevé à 24 milliards d’euros en 2021.
Aussi, cet article 2 propose de renforcer le pouvoir de sanction de l’ANSM en portant la sanction à 50 % du chiffre d’affaires réalisé sur le médicament concerné, dans la limite de 5 millions d’euros maximum.